En tant que parents, nous avons souvent le sentiment que l’Education nationale est immobile.
Alors que nous vivons aujourd’hui dans un monde qui change très vite (pour plus de détails, voir mon livre « Les 6 attitudes à connaître pour la réussite de votre enfant »).
Si l’institution évolue lentement, en revanche partout en son sein des enseignants expérimentent pour faire évoluer leur pédagogie.
Parfois avec le soutien de l’institution, de leurs collègues, prenant par exemple la forme d’un véritable projet d’école.
Parfois, seuls, armés de leur seule conviction qu’une éducation apportant plus de réussite et d’épanouissement aux enfants est possible.
C’est avec un immense plaisir que je vous présente aujourd’hui l’interview que j’ai réalisée avec Emilie, enseignante dans une école publique en maternelle à Marseille. Elle prépare un ambitieux projet éducatif, né de sa rencontre avec Céline Alvarez, pour la rentrée 2016-2017, qui va vous intéresser.
Pourquoi vous présenter aujourd’hui ce projet éducatif en particulier ?
Emilie est une lectrice de Parents du 21ème siècle. Elle m’a contactée tout récemment pour me présenter son projet. J’ai choisi de le relayer aujourd’hui car je suis admirative de son engagement pour faire avancer son projet, malgré les lourdeurs et les obstacles notamment financiers.
Mais surtout, parce que l’approche éducative qu’elle veut mettre en place pour nos enfants est parfaitement alignée avec le projet de Parents du 21ème siècle :
- + de réussite scolaire : dans des proportions qui relèvent du même miracle que la 1ère maison des enfants de Maria Montessori il y a un siècle
- une réussite durable, intégrant le développement des 6 attitudes de la réussite, qui s’appuie autant sur l’apprentissage de compétences scolaires, techniques, que sur l’épanouissement de la personnalité
- une approche développée au sein de l’école publique gratuite et donc accessible à tous les enfants
Points clés développés dans cet article
Si vous ne la connaissez pas encore, Céline Alvarez est une enseignante, spécialiste de linguistique. Elle a réalisé une passionnante expérimentation dans une maternelle publique de Gennevilliers de 2011 à 2014. Pendant 3 ans, avec l’accord du rectorat d’académie, elle a mis en place une approche croisant la pédagogie Montessori avec les connaissances nouvelles en neuro-sciences.
Le résultat ? Dans une classe de ZEP étiquetée « difficile », les enfants savaient lire à 5 ans, parfois avant, maîtrisaient le sens des 4 opérations, le tout dans un climat de plaisir d’apprendre et de curiosité. Pourtant, en 2014, l’expérimentation – dont les résultats ont été mesurés en collaboration avec le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) – est stoppée sans explication claire. Elle décide alors de quitter l’Education Nationale pour se consacrer à la transmission de la pédagogie élaborée pendant ses 3 années.
Si vous voulez en savoir plus sur les travaux de Céline Alvarez, voici le portrait qu’en a réalisé le quotidien Le Monde. Et pour aller encore plus loin, ses résultats sont détaillés ici.
Emilie : « Ce projet est une magnifique aventure humaine »
Magali : Bonjour Emilie,vous êtes enseignante en maternelle à Marseille. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et votre métier ?
Emilie : Bonjour, j’enseigne dans le public depuis 2004.
J’ai d’abord été nommée en école élémentaire dans les quartiers Nord en CP et CE1.
Ce fut une expérience très formatrice au niveau de la gestion de classe, d’un public en difficulté et de l’apprentissage de la lecture et des bases des mathématiques.
Ensuite depuis 4 ans j’ai découvert le monde de la maternelle au sein duquel j’apprécie particulièrement que les besoins de l’enfant priment encore sur le rôle d’élève.
Devenir enseignante était un choix réfléchi, une envie depuis très jeune de travailler auprès des enfants pour les aider à se construire.
Magali : Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour la pédagogie développée par Céline Alvarez ?
Emilie : Il se vit des choses extraordinaires dans les classes, les enfants, pour la plupart, prennent du plaisir et progressent.
Les équipes enseignantes font preuve d’un grand professionnalisme et d’une grande créativité .
Cependant au fil du temps s’est installée en moi la sensation que tout se passait comme si chacun d’entre nous, élèves et enseignants, fournissions d’importants efforts pour un résultat ne se révélant finalement pas à la hauteur de l’énergie dépensée.
J’en suis venue à me demander pourquoi je ressentais cette forme de malaise et j’ai réalisé petit à petit que la façon de transmettre le savoir aux enfants ainsi que le cadre qu’on leur proposait ne me paraissaient pas naturels du tout.
En quelque sorte les enfants sont « forcés » à apprendre dans le sens où la plupart d’entre eux font les activités parce qu’on le leur demande et pour faire plaisir aux adultes.
L’entrée à l’école de mon fils aîné, qui termine sa moyenne section, a aussi été un révélateur et m’a confortée dans cette impression.
J’en suis alors venue à rechercher comment faire autrement en classe pour plus de réussite et de bien être de tous. C’est dans cette quête que j’ai découvert le passionnant travail de Céline Alvarez.
Magali : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette approche ?
Emilie : Ce qui est au coeur de l’approche de Céline Alvarez ce sont les dernières découvertes en neurosciences. Celles-ci nous montrent le fonctionnement du cerveau et nous disent la façon la plus naturelle possible de transmettre le savoir et ainsi de rendre l’enfant acteur de ses apprentissages : il apprend par et pour lui-même.
Cela répond exactement aux doutes que je ressentais depuis quelques années.
Pour résumer très succinctement : Céline Alvarez a enrichi en les complétant les théories de Maria Montessori.
Les neurosciences nous indiquent, à nous tous enseignants, parents, éducateurs, les lois biologiques de l’apprentissage.
1- La plasticité cérébrale : tout au long de la vie le cerveau se spécialise et ne conserve que les connexions les plus fréquemment utilisées, par conséquent ce sont les expériences quotidiennes de l’enfant (celles le plus souvent répétées et non les meilleures) qui structurent directement son cerveau.
2- Développement de 3 fonctions exécutives principales : mémoire de travail (mémoriser et organiser des informations), contrôle inhibiteur (contrôler ses impulsions et émotions) et flexibilité cognitive (ajuster les solutions à un problème ou une situation). Ces 3 compétences fondamentales sont la base de l’acquisition réussie de la lecture, de l’écriture et des mathématiques.
3- Un accompagnement bienveillant : Soutenir l’enfant dans sa découverte du monde, l’encourager à faire seul, l’entourer de bienveillance.
Comment transposer ces enseignements théoriques dans la classe ?
Cela demande un grand bouleversement par rapport à l’organisation traditionnelle d’une classe.
Il existe quelques principes à respecter : faire manipuler plus, laisser bouger, partir du vécu et du réel pour construire les savoirs, individualiser au maximum, créer les conditions de l’autonomie et déclencher la jubilation de la réussite.
Mais attention il n’y a pas une seule bonne façon de faire, il ne s’agit pas de remplacer un dogme par un autre.
Il se trouve qu’à l’âge de la maternelle la pédagogie Montessori se mêle parfaitement aux neurosciences mais il existe d’autres techniques à mettre en place, je pense aux techniques Freinet par exemple ou au travail de Monsieur Eric Gaspar et bien d’autres encore.
Magali : Dès la rentrée 2016-2017, vous mettrez en œuvre cette pédagogie dans votre classe. Comment votre démarche a-t-elle été accueillie par les parents ? par vos collègues ? par l’éducation nationale ? par la mairie ?
Emilie : Il faut savoir qu’un vent de changement souffle réellement dans les écoles publiques. De nombreux collègues remettent en question les pratiques plus traditionnelles. Le mouvement insufflé par Céline Alvarez notamment s’ancre sur le terrain.
Pour ma part je commencerai en effet en septembre une transition vers cette pédagogie plus respectueuse du développement naturel de l’enfant.
Faisant cela j’ai en tête une utopie. L’espoir qu’en s’implantant sur le terrain le mouvement se répande, fasse tâche d’huile, afin d’inciter l’institution à se positionner pour que dans quelques années chacun puisse choisir des pédagogies alternatives.
Dans mon école justement j’ai la chance d’avoir des collègues bienveillantes qui interrogent leurs pratiques et qui sont ouvertes au changement. Une saine émulation est née au sein de l’équipe depuis que je me suis lancée dans l’aventure. J’ai même une collègue qui serait prête comme moi à changer profondément sa pratique. Mon Atsem qui aura un rôle essentiel à jouer se montre aussi concernée et curieuse.
Mon inspecteur de circonscription me soutient également, avec la retenue que lui impose son rôle mais néanmoins de façon nette.
En ce qui concerne les parents l’annonce de changement de cap pédagogique a été bien accueillie lors du dernier conseil d’école. J’espère les convaincre tous quand ils verront leurs enfants vivre cette pédagogie différente.
La mairie, quand à elle, fournit un budget pour acheter des consommables et quelques jeux traditionnels mais ne s’est pas encore prononcée sur mon projet.
Magali : Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Emilie : Les deux difficultés principales sont le budget et la formation.
Vouloir améliorer les choses c’est bien mais cela demande forcément de changer l’environnement (meubles, matériel très spécifique…) et de s’approprier les nouvelles pratiques en se formant.
Concernant la formation, consciente de l’ampleur du changement dans ma pratique je refuse de la négliger, aussi ai-je fait le choix de suivre deux formations sur mon temps et avec mes fonds personnels.
L’une cet été auprès de Céline Alvarez justement et l’autre un samedi par mois de septembre à janvier dans une école Montessori privée de Marseille .
Pour résoudre le problème du budget pour le matériel l’idée a mûri en moi de mettre en place une campagne de financement participatif sur le site Ulule.
Cette campagne s’achèvera vendredi soir à minuit et a eu pour le moment un certain succès. Aujourd’hui chaque nouveau don récolté servira à équiper la classe de ma collègue Pascale dont je parlais plus haut.
Magali : Quels soutiens avez-vous trouvés dans votre projet ?
Emilie : Ce projet est jusque là une magnifique aventure humaine.
Il me permet des rencontres formidables, du partage d’expérience, de l’entraide, la création d’un réseau et enfin de recevoir énormément de bienveillance de gens d’horizons très variés. C’est absolument passionnant !
Des collègues m’ont proposé leur aide pour demander le droit individuel à la formation par exemple, on m’a invitée dans un groupe Facebook très actif et stimulant dédié à l’échange de pratiques, le lycée professionnel proche de mon école va faire fabriquer quelques meubles à ses élèves pour ma classe.
J’ai connu des mouvements comme le Printemps de l’Education, l’Association Public Montessori ou le travaill d’Eric Gaspar et des sites dynamiques et modernes comme Parents du 21ème siècle !
Tout cela me donne une énergie folle qui me porte énormément ! Il le faut car l’aventure ne fait que commencer !
Comment ça se passe chez vous ?
Si le projet d’Emilie a suscité votre intérêt, je vous invite maintenant à faire 2 choses :
- Cliquer sur ce lien qui décrit plus en détail le projet et comment vous aussi pouvez y contribuer
- Partager cette interview sur Facebook avec vos amis, eux aussi découvriront comment on peut mettre en place à l’école publique des pédagogies qui apportent plus de réussite et d’épanouissement
A titre personnel, je crois qu’en tant que parents, nous avons un rôle actif à jouer – au-delà de la critique des faiblesses du système actuel – pour que l’école où nos enfants réussissent mieux et s’épanouissent devienne une réalité demain. J’ai ainsi contribué aujourd’hui au projet d’Emilie 🙂
Crédit photo : Emilie, Nienhuis, Céline Alvarez
Merci, merci pour cette interview inspirante ! Je ne suis pas instit, mais je suis également fan de Celine Alvarez !
(Il n’y a qu’à voir l’article que je lui ai consacré suite à une conférence à laquelle j’ai assisté :
https://les6doigtsdelamain.com/magique-celine-alvarez/ )
Je suis ravie de pouvoir lire un exemple concret d’enseignants qui appliquent ces principes.
J’ai bien senti ce qu’Emilie dit ici : « un vent de changement souffle réellement. »
Bonjour Coralie,
Merci pour votre message et le partage de votre expérience 🙂
A bientôt sur Parents du 21ème siècle,
Magali
Bonjour, je cherche désespérément une école maternelle publique qui appliquerait la pédagogie Montessori (val d’Oise principalement). Passionnée par les conférences de Céline Alvarez, je vois bien le nombre de professeurs des écoles qui cherchent à modifier leurs pratiques et habitudes mais il est pratiquement impossible de trouver une école qui ne soit pas hors contrat et hors de prix !!!
Pourquoi les enseignants ne communiquent-ils pas plus sur leur travail ? Même si tout le matériel n’y est pas, l’important reste la motivation et l’envie de proposer des activités Adaptées aux enfants…