Cela fait plusieurs fois que je vous parle de celui que l’on ne présente plus dans le monde de l’innovation à l’école 😉 Enfin, si vous ne le connaissez pas encore, sachez qu’il est un des penseurs les plus influents de l’école aujourd’hui, conférencier acclamé aux quatre coins de la planète, et auteur de la conférence TED la plus vue de l’histoire, avec plus de 50 millions de vues : il s’agit de Sir Ken Robinson.
Lors de sa dernière visite en France, Emmanuelle Serrero-Després, son éditrice, qui se démène pour mieux faire connaître ses idées dans l’hexagone, avait organisé une semaine de rencontres avec tous les acteurs clés de l’école en France… à commencer par le Ministre de l’Éducation nationale 😉 Ça a été un honneur et un plaisir pour moi que de m’associer à cet événement, et de rencontrer longuement Sir Ken Robinson pour pouvoir lui poser en direct toutes mes questions pour vous aider davantage avec l’école (oui, c’est quand même le but premier de ce type de rencontres 😉 )
Mes premières questions ont porté sur son parcours : derrière le mythe, comment s’est forgée sa vision de l’école ? Sur quels projets concrets s’est-il investi ?
Les questions suivantes portent sur nous, les parents : que pouvons-nous faire, à notre niveau, pour contribuer à dépoussiérer l’école ? Comment pouvons-nous agir concrètement pour que l’école fasse plus de place à la créativité, à la différence, au plaisir d’apprendre ? Le changement est-il vraiment possible, quand la moindre suggestion dans l’école de votre enfant réveille les querelles de Clochemerle ?
Et je dois dire que franchement, le résultat est au-delà de mes espérances : pendant près d’1 heure, Sir Ken Robinson développe une vision de l’école inspirante et ses conseils pour les parents vous serviront quelque soit votre style d’éducation. J’ai gardé l’essentiel de l’interview dans cet article. Certes, c’est long ! Mais franchement ça vaut le coup. Je vous promets que ce sont parmi les lignes les plus passionnantes que vous lirez sur l’école cette année 🙂
Au programme :
- Comment la créativité se développe dans les matières artistiques… mais pas que !
- Ce qu’est un hub d’apprentissage et comment ça marche
- Pourquoi tout ce qui est fait à l’école aujourd’hui doit être remis en question aujourd’hui
- Métaphore : accepteriez-vous vraiment d’être soigné par un médecin incompétent dans un hôpital flambant neuf ?
- Le secret pour allier effort de l’apprentissage et plaisir
- Pourquoi le changement est entre vos mains !
Bonne lecture ! Je vous dis à dans 10 minutes, en bas de cet article 😉
Magali : Au début de votre carrière, vous avez été le directeur du projet « Arts à l’école » en Angleterre et professeur d’éducation artistique à l’Université de Warwick. Qu’est-ce qui vous a amené à élargir votre réflexion au-delà du domaine artistique et à remettre en question le mode de fonctionnement actuel de l’école ?
Sir Ken Robinson : Je me suis tout d’abord intéressé au théâtre, à l’art dramatique. Ce qui m’a frappé c’est que c’est un outil d’éducation très puissant. Parce qu’en pratiquant l’art dramatique à l’école, vous amenez les enfants à travailler en groupes, à exprimer leur imaginaire, leur créativité. Vous les amenez aussi à explorer le registre des émotions, des valeurs, de l’éthique ou encore à interroger des sujets sociétaux. Vous favorisez aussi la coopération.
Et tous ces sujets semblent être des sujets très importants à l’école. Ce qui m’a intéressé en allant dans les écoles, c’est de découvrir à quel point peu d’écoles savaient transmettre les multiples qualités éducatives des activités artistiques. Alors qu’à mes yeux, c’est une partie très importante de l’éducation. Toutes les écoles devraient le faire ! Donc c’est à cela que je me suis intéressé.
Et puis, en intervenant dans les écoles, j’ai commencé à parler avec des personnes du monde artistique au-delà de l’art dramatique : des danseurs, des musiciens, des écrivains, des artistes de toutes les disciplines. Et c’est là que j’ai réalisé que ces personnes s’intéressaient à la même chose que moi. L’art dramatique n’était pas le seul à explorer la vie, les émotions, la connaissance de soi, les valeurs, l’éthique etc… toutes les disciplines artistiques le font. Alors, j’ai commencé à m’intéresser aux arts en général. Je suis parti d’un point, l’art dramatique, et je me suis intéressé à des cercles de plus en plus larges à partir de ce point.
Et je ne me suis pas intéressé uniquement à ce qui se passe dans les écoles, parce que les activités artistiques ont aussi lieu en-dehors de l’école. Donc j’ai commencé à travailler sur la façon de connecter l’école avec ce qui se passait dans la communauté autour d’elle.
C’est à ce moment-là que j’ai été mandaté pour écrire un rapport au niveau national sur les activités artistiques à l’école. Ce que j’ai fait ! J’ai travaillé en faisant intervenir des personnes de tous les horizons artistiques. Une des questions centrales que nous avons mises en avant était l’importance de la créativité.
Ensuite, je me suis impliqué dans un projet à l’échelle nationale visant à définir un programme scolaire commun. Pourquoi ? Parce qu’en rencontrant des personnes des domaines scientifiques et des lettres, je me suis rendu compte qu’ils s’intéressaient aux mêmes questions que moi avec l’art dramatique. Et puis, vous ne pouvez pas vraiment changer la façon dont est enseignée une matière – les arts – sans tout changer.
A ce moment-là, la question pour moi n’était plus uniquement celle de l’éducation artistique, mais celle de la nature même de l’éducation. Pourquoi est-ce que les questions qui étaient fondamentales pour moi en art dramatique et pour mes collègues dans d’autres disciplines étaient-elles encore perçues comme excentriques dans les écoles ? Il fallait regarder le problème de façon globale, pas seulement sous l’angle des arts. Donc ça a été une forme de progression naturelle : en démarrant par l’art dramatique, de fil en aiguille je me suis intéressé au système éducatif dans sa globalité.
Magali : Est-ce que cela veut dire que tous les aspects intéressants que vous avez vus dans l’art dramatique – la coopération, la créativité, l’intelligence émotionnelle – et qui étaient laissés à la porte des écoles, étaient en fait pertinents pour beaucoup plus de personnes et de métiers que vous ne le croyiez au départ ?
Sir Ken Robinson : Oui ! Et plus je parlais avec des scientifiques, avec des mathématiciens, plus il devenait clair que ces aspects étaient très importants pour eux également. Les sciences sont une activité très créative. Les émotions, l’intuition y jouent aussi un rôle important. Ces composantes font bouger notre culture, nos croyances, la façon dont nous pensons, dont nous agissons. En fait il y a de multiples portes d’entrées possibles sur la question de l’éducation, comme dans un labyrinthe, et la mienne c’était l’art dramatique. Mais une fois que vous êtes à l’intérieur, tout se connecte. En fait, quand vous vous intéressez à l’éducation, peu importe votre porte d’entrée, vous devez avoir une vision d’ensemble.
Magali : Dans votre livre « Changez l’école ! » paru en 2017 aux éditions PlayBac vous dites que nous avons besoin d’écoles plus créatives. Qu’est-ce que cela signifie ?
Sir Ken Robinson : Eh bien cela veut dire deux choses. La première, c’est que je crois que les êtres humains sont naturellement curieux et créatifs et que nous avons un potentiel fantastique. C’est ce qui rend les êtres humains uniques, ce qui les différencie des autres espèces sur la planète. Nous avons des pouvoirs extraordinaires d’imagination et de créativité. Et il est essentiel que nos enfants développent leurs propres pouvoirs d’imagination et de créativité dans tout ce qu’ils font. La créativité, ce n’est pas un talent excentrique que de rares personnes possèdent, ça ne se cantonne pas à quelques activités.
Magali : C’est pourtant bien ainsi que nous avons tendance à voir la créativité !
Sir Ken Robinson : Oui, c’est vrai ! Nous pensons qu’être créatif c’est quelque chose de rare. Mon avis c’est que nous sommes tous naturellement créatifs. Mais nous devons cultiver ces capacités pour devenir capables de les exprimer. Donc un argument clé dans mon livre, c’est de dire que la créativité est un élément central de nos vies. C’est ce qui nous définit en tant qu’êtres humains. Et il est plus important que jamais que nous développions ces pouvoirs chez nos enfants, parce que nous vivons à une époque incertaine et compliquée. Une école créative, c’est une école qui s’attache à développer la capacité créative des enfants.
Et mon deuxième point, c’est que pour réussir à cultiver les capacités créatives des enfants, nous devons concevoir l’école différemment. Parce que les écoles ne sont pas faites pour ça aujourd’hui. Elles sont faites pour autre chose. Donc le thème central de mon livre, c’est que nous pouvons réinventer l’école, faire l’école différemment. Nous ne sommes pas obligés de continuer à faire l’école comme nous le faisons aujourd’hui.
Magali : Faire l’école différemment, qu’est-ce que cela veut dire ?
Sir Ken Robinson : Si vous y pensez, une école c’est un ensemble d’éléments. Il y a le programme, qui est ce que nous voulons que les gens apprennent. Il y a la pédagogie, qui est comment nous les aidons à apprendre, c’est ce que font les enseignants. Il y a les notes, il y a l’emploi du temps – la façon dont l’école est organisée – il y a l’environnement culturel de l’école. Faire l’école différemment, cela a des implications sur tous ces éléments.
Ce que je dis dans le livre, c’est qu’une école, c’est une communauté de personnes qui apprennent. Le cœur de l’école, c’est cela. Pourtant, nous en sommes arrivés à associer l’école à toute une série d’habitudes et de routines. Par exemple, de regrouper les enfants en classe par tranche d’âge. Nous ne sommes pas obligés de faire comme ça. En fait, ce n’est pas du tout une bonne idée. Il y a énormément de bénéfices à mélanger des enfants d’âges différents. D’ailleurs, en-dehors de l’école, nous n’isolons pas les enfants dans des compartiments selon leur âge. Ils parlent à qui ils ont besoin de parler et apprennent ainsi. Avoir séparé les enfants par tranche d’âge à l’école, c’était une logique d’efficacité et d’organisation, pas une logique éducative.
De la même façon, nous organisons la journée d’école en petits bouts de temps. Nous exigeons des enfants qu’ils soient assis tout le temps. Nous ne sommes pas obligés de faire comme ça. Nous voyons souvent le professeur à l’avant de la classe et tous les élèves tournés vers lui. Mais nous n’avons pas besoin de faire ça. En fait, presque tout ce que nous faisons à l’école aujourd’hui est inutile. Et beaucoup de tout cela freine l’apprentissage. Cela rend le fait d’apprendre moins intéressant, moins enthousiasmant. Apprendre est aujourd’hui plus perçu comme un travail et cela engendre beaucoup de pression.
Magali : Effectivement, en France, nous disons souvent que les élèves « travaillent » à l’école !
Sir Ken Robinson : Oui, c’est du travail et c’est de la pression. Je ne dis pas qu’à l’école il ne doit pas y avoir d’effort. Mais cela devrait être plus un plaisir qu’une souffrance. Les enfants aiment apprendre, mais ils n’aiment pas l’école ! Donc nous devons faire l’école différemment, pour garder intacte leur envie d’apprendre.
Faire l’école différemment, cela a par exemple des implications sur les programmes scolaires. Nous avons besoin de programmes plus équilibrés. Nous avons besoin de plus d’arts, plus de langues, plus de sciences, beaucoup de sport.
Les enfants ne devraient pas être contraints à rester assis tout le temps. Il devrait y avoir des échanges entre les tranches d’âges. Il devrait y avoir une plus grande variété de styles d’enseignements. Les excellents enseignants utilisent toute une palette de techniques pédagogiques. Ils ne font pas que du cours magistral. Ils ne s’appuient pas uniquement sur les contrôles et les examens pour pousser les élèves à apprendre. Sur presque tous les éléments, nous pouvons imaginer faire l’école différemment.
Magali : C’est un énorme changement !
Sir Ken Robinson : Oui, mais la réalité, c’est que ce changement est déjà là. Ce n’est pas de la théorie ! Il y a des écoles partout sur la planète qui font les choses différemment et qui obtiennent de meilleurs résultats. Le système scolaire actuel ne convient pas à beaucoup d’élèves. Il a été conçu à l’origine pour préparer un petit nombre d’élèves à l’université. Le résultat, c’est que nos enfants sont très stressés et anxieux dans ce système. Et à la sortie, il y a beaucoup d’insatisfaction. Par exemple, le monde économique se plaint que les diplômés actuels ne sont pas équipés des bons talents ou des bonnes compétences. Donc oui, c’est un gros changement. Mais il a lieu en ce moment même. Et c’est ce que je veux dire. Ce n’est pas de la théorie. Mon livre est rempli d’exemples d’écoles qui font les choses différemment et qui ont de meilleurs résultats.
Magali : Quand vous dites que l’école est une communauté de personnes qui apprennent, est-ce que cela inclut les parents ? Vous savez peut-être qu’en France nous avons cette tradition que les parents restent largement à la porte de l’école
Sir Ken Robinson : Vraiment ? Oui, je crois que les parents doivent faire partie de cette communauté d’apprentissage. Il y a un juste équilibre à trouver. Il est souhaitable que les parents soient activement impliqués dans l’éducation, parce qu’ils connaissent bien leurs enfants, leurs particularités. La relation entre l’école et les parents est importante, et ça devrait être de bonnes relations. Et je crois que les écoles ne doivent pas être réservées aux enfants. Certaines écoles dont je parle dans mon livre ont des programmes pour les adultes. Ces écoles deviennent un hub pour la communauté.
Magali : Vous voulez dire un lieu de rencontre ouvert, pour toute une communauté de personnes – adultes et enfants – qui partagent un objectif commun : apprendre ?
Sir Ken Robinson : Oui, c’est ce que l’école devient. C’est un peu étrange, non, d’avoir ces équipements fantastiques dans les écoles et de fermer les portes à clé à 17h ! Ces équipements pourraient être utilisés pour favoriser l’apprentissage de toute la communauté.
Mais comme je viens de le dire, il y a un juste équilibre à trouver. Parce que parfois les parents contribuent aux problèmes de l’école. Lorsqu’ils mettent beaucoup de pression sur leurs enfants. Lorsqu’ils essaient d’interférer dans la relation entre l’enseignant et l’élève. Être un bon enseignant est un métier très exigeant et compliqué. Alors vous ne voulez pas avoir les parents qui entrent toutes les 5 minutes en classe en vous interpellant « Pourquoi avez-vous parlé de cette façon à mon enfant ? » Les parents doivent laisser les enseignants faire leur travail.
Cela dit, il y a beaucoup d’exemples de relations constructives entre l’école et les familles. Et il devrait y avoir de bonnes relations entre eux.
Magali : Vous soulevez une question importante ! Qu’est-ce que nous, les parents, devons lâcher si nous voulons soutenir une école qui laisse plus de place à la créativité, à la coopération, à l’apprentissage actif ? Je reçois souvent des messages d’enseignants qui me disent « Écoutez, j’ai essayé une approche plus créative, plus coopérative de l’enseignement dans ma classe. Mais les parents n’arrêtent pas de me demander plus de devoirs et plus de notes. Alors qu’est-ce que je dois faire ? »
Sir Ken Robinson : Il faut bien sûr regarder dans le détail chaque situation. Il est toujours difficile de généraliser. Maintenant, de mon expérience, je crois que les parents doivent prendre du recul. Ils doivent comprendre que le système scolaire actuel n’est pas dans le meilleur intérêt de leurs enfants.
Je crois que les parents qui mettent la pression sur les notes et les résultats le font parce qu’ils veulent le meilleur pour leurs enfants. Et ils pensent que ce qu’ils doivent faire c’est aider leurs enfants à avoir de bons diplômes, à faire des études supérieures, à avoir un bon travail. Et ils s’inquiètent que si leurs enfants ne réussissent pas tout ça, les choses vont mal tourner. Que leurs enfants ne trouveront pas de travail et que ce sera terrible.
Dans « Changez l’école ! » j’ai dédié un chapitre entier aux parents, parce que je pense que les parents se trompent sur ce point. Ils réfléchissent sur un modèle ancien, qui n’est plus pertinent aujourd’hui.
Magali : Vous mettez le doigt sur un sujet sensible. Il y a beaucoup d’anxiété autour de l’école !
Sir Ken Robinson : Oui, c’est vrai et c’est parfaitement compréhensible. J’ai deux enfants, donc moi aussi je suis dans les chaussures du parent ! Les parents veulent faire les meilleurs choix pour leurs enfants, mais ils raisonnent souvent sur la base d’un modèle ancien. Donc l’école doit expliquer aux parents les bénéfices qu’il y aura pour eux et pour leurs enfants à faire les choses différemment.
Si les enseignants essaient de faire des choses nouvelles et que les parents freinent, cela devient très difficile. C’est pourquoi il est souvent mieux d’avoir une approche coordonnée au niveau de l’école. Je pense que l’école doit expliquer aux parents quand elle fait quelque chose de différent. Elle doit expliquer pourquoi, expliquer quels sont les bénéfices. Et elle doit entraîner les parents avec elle. Toutes les écoles dont je parle dans mon livre ont cette approche. Elles ne se contentent pas d’ignorer les parents. Parce que c’est là que les problèmes commencent. Quand vous faites quelque chose de différent et que vous ne dites pas aux parents pourquoi.
Magali : Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire d’entraîner les parents ?
Sir Ken Robinson : Il est nécessaire que l’école implique les parents dans les changements qu’elle conduit. Cela n’a pas de sens de dire que les parents ont tort parce qu’ils résistent au changement. Le changement est difficile. C’est difficile pour tout le monde, je n’essaie pas de le minimiser. Il faut une vision claire de où on va et il faut de la détermination. Il faut aussi être capable de montrer aux gens, quand on fait quelque chose de différent, que c’est mieux qu’avant, pas moins bien. C’est vrai pour tout. C’est vrai dans les entreprises, c’est vrai dans les organisations, c’est vrai à l’école.
Si vous voulez que les enseignants fassent différemment, vous devez les convaincre que c’est la bonne chose à faire. Les gens préfèrent rester avec le système qu’ils connaissent, sauf à ce qu’ils voient un bénéfice évident à changer. Vous connaissez le dicton « On sait ce que l’on quitte, mais on ne sait pas ce qu’on trouve ». Les gens préfèrent les choses telles qu’elles sont, sauf à ce qu’ils soient convaincus qu’il y a une meilleure façon de faire.
Magali : En France, un sujet revient souvent dans les débats : le manque de moyens, supposé ou réel, de l’Éducation nationale. Est-ce que les écoles dont vous parlez dans « Changez l’école ! » sont des écoles qui ont beaucoup de moyens ?
Sir Ken Robinson : Non. La plupart des écoles que je cite dans mon livre sont des écoles publiques, pas des écoles privées. Changer l’école ne demande pas vraiment plus de moyens. La vraie question c’est plutôt comment vous les utilisez. C’est la même chose qu’avec l’alimentation : vous savez que bien manger ne coûte pas plus cher que de mal manger. Une nourriture saine n’est pas nécessairement chère. C’est la même chose pour l’école. Les plus gros postes de dépenses dans une école, ce sont les salaires et les équipements. Nous dépensons déjà beaucoup d’argent pour l’école. Nous consacrons des moyens aux examens, aux contrôles. Le changement dont je parle ne demande pas plus de moyens. Il demande un changement d’état d’esprit.
Magali : Dans votre livre, vous insistez sur la formation et l’accompagnement des enseignants. Pourquoi est-ce si important ?
Sir Ken Robinson : La question qui se cache derrière cela, c’est d’identifier quels critères font un bon enseignant. Vous savez, beaucoup de gens croient que pour être un bon prof, tout ce qu’il faut c’est de solides connaissances dans la matière que vous enseignez. Par exemple, si vous êtes diplômé en mathématiques, vous pouvez enseigner les maths. Ou si vous avez un diplôme d’allemand, vous pouvez enseigner l’allemand. Mais ce n’est pas vrai ! Comprenez-moi bien, vous devez bien sûr connaître la matière que vous enseignez. Je ne pourrais pas être prof d’allemand, c’est une langue que je ne parle pas ! Donc évidemment vous voulez que les gens connaissent la matière qu’ils enseignent. Mais ce n’est que la moitié du métier d’enseignant, vraiment. Pour être un bon prof, il faut une passion pour ce métier. Parce que c’est un métier compliqué et exigeant. Il faut aussi comprendre les mécanismes d’apprentissage. Il faut tout une palette de techniques créatives pour susciter la créativité de ses élèves. Il faut de l’expérience pour savoir comment gérer un groupe d’enfants ou d’adolescents.
Les meilleurs systèmes éducatifs actuels ont intégré toutes ces dimensions du métier d’enseignant. Par exemple en Finlande, qui est un pays souvent cité en exemple, être enseignant est un métier prestigieux. Les candidats travaillent dur pour devenir prof et il y a une très forte sélection à l’entrée. Ils reçoivent beaucoup de formation avant de commencer à exercer. Puis les enseignants en poste sont accompagnés et bénéficient d’un dispositif de formation continue efficace.
Dans d’autres pays, cela ne se passe pas de cette façon. Aux États-Unis, les enseignants reçoivent très peu de soutien une fois qu’ils sont en poste. Le métier d’enseignant n’est pas valorisé. Je suis en fort désaccord là-dessus. Pour moi, enseignant doit être un métier prestigieux. Vous ne pouvez pas améliorer la qualité des écoles si vous n’accompagnez pas les enseignants. Voici un parallèle pour mieux comprendre : vous ne pouvez pas avoir un système médical de qualité si vous croyez qu’il n’y a pas besoin d’investir dans les médecins et les infirmières. Ce n’est pas possible. Vous aurez un très bel hôpital, mais si le personnel médical n’est pas bon, attendez-vous à un fort taux de mortalité. A l’inverse, vous pouvez obtenir de fantastiques résultats avec moins d’équipements médicaux et de très bons docteurs.
Magali : Il y a quelques semaines, j’ai demandé à mes lecteurs quelle est la première mesure qu’ils prendraient s’ils étaient Ministre de l’Éducation Nationale. Et c’est justement celle-ci qui est arrivée en tête : la formation des enseignants.
Sir Ken Robinson : Oui, c’est absolument clé ! Et il ne faut pas seulement former aux techniques traditionnelles d’enseignement, mais montrer aux profs qu’il existe de multiples façons d’enseigner. Souvent, les gens pensent que la pédagogie c’est se tenir debout devant la classe, pendant que les élèves sont assis à leur table et écrivent ce que vous leur dites. Et ils travaillent en silence pendant que vous passez dans les rangs. Disons que c’est une partie de ce qu’un prof peut faire.
Mais les excellents enseignants font plus que ça. Ils encouragent, ils sont des mentors, ils font grandir, ils communiquent leur enthousiasme, ils éveillent la curiosité. Il y a des millions de façons d’être prof. Et vous savez que si les enfants sont curieux et enthousiastes à l’idée d’apprendre, alors ils apprendront bien. Les enfants adorent apprendre. C’est juste qu’ils n’aiment pas l’école. Même si certains enfants aiment bien l’école actuelle. Attention, je ne suis pas en train de dire que toutes les écoles sont horribles !
Magali : Quand on pense à tous ces enfants qui n’aiment pas l’école, qu’est-ce que leurs parents peuvent faire pour les aider ?
Sir Ken Robinson : Je leur dirais de penser à cette maxime « Soyez une partie de la solution, pas une partie du problème ». Comme je le disais tout à l’heure, certains parents sont une partie du problème parce qu’ils mettent énormément de pression et de stress sur leurs enfants. Pour être une partie de la solution, une chose importante à garder à l’esprit est que votre enfant est unique. Vous avez des enfants ?
Magali : Oui, trois !
Sir Ken Robinson : Et ils sont tous différents, j’en suis sûr !
Magali : Oui, ils ont des personnalités très différentes, même les jumeaux !
Sir Ken Robinson : Exactement, même les jumeaux ont des personnalités très différentes. C’est inévitable. J’encourage toujours les parents à faire exactement ce que vous faites : reconnaître l’individualité de leurs enfants. Reconnaître aussi que l’école est une partie importante de leur vie, mais qu’elle n’est qu’une partie de leur vie. Si leur vie est constamment sous pression, que la maison devient une extension de la pression qui est mise à l’école, cela devient très difficile à vivre pour les enfants. Et pour les parents aussi. Tout le monde est stressé. C’est pour cette raison que je soutiens actuellement une campagne sur l’importance du jeu.
Magali : C’est la campagne “Être sale c’est génial” dont vous avez parlé mardi soir ?
Sir Ken Robinson : Oui ! Les enfants ont besoin de temps pour se détendre. Ils ont besoin de temps à la maison, pour être eux-mêmes, pour jouer, pour être des enfants. C’est la partie de leur vie sur laquelle les parents peuvent beaucoup aider : ce qui se passe à la maison, la qualité de vie hors de l’école. Il est important de s’y intéresser. Quand la vie d’un enfant devient une expérience constante de pression aux résultats et de stress, c’est mauvais pour tout le monde.
Alors, bien sûr il y a les devoirs. Mon conseil c’est de prévoir un temps dédié, bien délimité. Et d’instaurer une routine qui laisse suffisamment de temps pour le reste : du temps pour se détendre, pour jouer, du temps en famille avec leurs frères et sœurs et leurs parents.
Au-delà de ces actions à la maison, les parents peuvent aussi communiquer avec l’école. Par exemple, s’ils trouvent qu’il y a trop de pression à l’école, ils peuvent discuter avec d’autres parents et amorcer une réflexion collective avec l’école sur la façon de réduire la pression qui est mise sur les enfants.
Vous savez, ces systèmes éducatifs changent. Je pense que de plus en plus de gens réalisent qu’il y a besoin de changer. Beaucoup d’enseignants aussi veulent voir l’école changer.
Magali : Il y a un vrai challenge à mes yeux, c’est comment réussir dans le système éducatif actuel la rencontre entre les parents qui veulent un changement à l’école et les enseignants qui veulent la même chose ?
Sir Ken Robinson : C’est un vrai challenge! Il y a beaucoup de challenges dans la vie, mais celui-ci vaut vraiment la peine d’être relevé. Il n’y a pas de recette miracle, car chaque situation est différente.
Il y a toutefois quelques questions par lesquelles les parents peuvent commencer : à qui puis-je m’adresser à l’école ? Suis-je le seul à penser ceci ou d’autres parents partagent-ils les mêmes préoccupations ? Pouvons-nous initier une discussion collective avec l’école sur ces sujets ?
Les enseignants sont pris dans un système qui les dépasse. Mais comme vous le dites, beaucoup d’entre eux veulent voir l’école changer. Et je crois que c’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui : beaucoup de personnes veulent que l’école change. Cela crée un terrain favorable pour que ce changement arrive.
Magali : Voici une belle raison d’être optimiste en conclusion de cette interview ! Sir Ken Robinson, merci pour le partage de vos convictions sur ce que pourrait être l’école demain, cela a été un immense privilège d’échanger avec vous !
Cette interview a été enregistrée en septembre 2017, lors de la visite de Sir Ken Robinson à Paris
Crédit photo : Benoît Briand
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Bonjour Magali, je suis tombée par hasard sur ton interview de l auteur de changer l ecole et c est drole car je suis aussi convaincue de l utilite du theatre comme aide d apprentissage des competences emotionnelles et sociales. Je monte des pieces de theatre en anglais avec mes eleves a l ecole e brandt des le ce2 et c est chouette. J aimerais d ailleurs progresser sur ce sujet en me remettant au theatre. Bravo pr ce que tu fais amities delphine