Rêver et agir pour la paix au milieu de la violence
« Mais le renard revint à son idée :
– Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m’ennuie donc un peu.
Mais, si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. {…} Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c’est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d’or.
Alors ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé. Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé…
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
– S’il te plait …apprivoise-moi ! dit-il.
– Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
– On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. {…} Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
– Que faut-il faire ? dit le petit prince.
– Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. »
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, 1943
Le Petit Prince, écrit en pleine guerre des démocraties contre les régimes totalitaires, nous invite à rêver et à agir pour un monde en paix, pour des liens entre les êtres humains qui tissent la joie de vivre…
…. je suis restée pétrifiée d’horreur à l’annonce des attentats à Paris vendredi et traîne depuis une lourde tristesse. Je voudrais adresser toute ma compassion aux familles et aux amis des victimes, qu’ils sachent qu’ils sont dans cette épreuve entourés de mes pensées comme de celles de millions de personnes en France et à travers la planète.
Déjà vient le temps de la réponse à ces attentats. Le moment de montrer notre courage et notre détermination pour faire prévaloir notre idéal de société aujourd’hui attaqué : celui d’une société démocratique, en paix, libre, respectueuse des individus et riche de leurs diversités.
Pour cela, la réponse militaire et policière, déjà enclenchée, sera nécessaire mais ne suffira pas. Aucun pays, même les régimes totalitaires, n’a réussi à durablement faire valoir son modèle de société par la force. La paix durable passera par la libre adhésion, elle passera par l’éducation.
Eduquer à une réussite collective pour faire vivre une société de paix
Un fait m’interpelle : si les attentats ont été commandités de l’étranger, une partie des terroristes du 13 novembre, comme ceux de janvier, sont français. Nés en France, éduqués en France, formés dans les écoles de la République jusqu’à leurs 16 ans et probablement au-delà.
Ils sont de ma génération. Pendant toute leur enfance et leur adolescence, ils ont été exposés comme moi, dans leurs familles, à l’école et hors de l’école, à notre idéal de société démocratique, en paix, respectueuse des libertés individuelles. Pourtant, ils ont préféré choisir pour société d’adoption le régime le plus violent, totalitaire, la guerre.
« Nous devons, avant tout, ne rien renier de ce dont nous sommes. {…} Ainsi je ne me désolidariserai pas d’une défaite qui, souvent, m’humiliera. Je suis de France. La France formait des Renoir, des Pascal, des Pasteur {…} Elle formait aussi des incapables, des politiciens et des tricheurs. Mais il me paraît trop aisé de se réclamer des uns et de nier toute parenté avec les autres. {…} Je ne contribuerai pas à ces divisions, en rejetant la responsabilité de ce désastre sur ceux des miens qui pensent autrement que moi. Il n’est rien à tirer de ces procès sans juge. Nous avons tous été vaincus. {…} Si j’accepte d’être humilié par ma maison, je puis agir sur ma maison. Elle est de moi, comme je suis d’elle. Mais, si je refuse l’humiliation, la maison se démantibulera comme elle voudra, et j’irai seul, tout glorieux, mais plus vain qu’un mort ».
Pilote de guerre, Antoine de Saint-Exupéry, 1942.
A la suite d’Antoine de Saint-Exupéry, je refuse de rejeter ces terroristes hors de la société française. Ils y ont grandi et y ont été éduqués, ils en font partie. L’horreur qu’ils nous ont infligée pose à notre société des questions essentielles sur la façon dont nous transmettons et faisons vivre nos idéaux.
Leur violence nous montre une limite de notre société aujourd’hui, qu’il y a urgence à transformer par l’éducation : la paix n’est pas compatible avec l’exclusion économique et sociale massive que nous connaissons (chômage, banlieues ghettos, échec scolaire, solitude…), avec la peur de l’exclusion qui touche un plus grand nombre encore.
Nous devons apprendre à nos enfants à faire une place à chacun, à vivre et à faire ensemble avec leurs différences. Nous devons transmettre clairement à nos enfants qu’il n’est pas acceptable d’exclure de la société une partie de ses membres.
D’abord parce que c’est la priver d’une partie de sa richesse, de son potentiel. Ensuite, parce que ces membres exclus ne disparaissent pas. Les attentats de vendredi nous l’ont rappelé par l’horreur : ceux qui ne trouvent pas à appartenir et à contribuer positivement à notre société, trouvent d’autres moyens de se sentir utiles.
Il y a là un énorme travail qui nous attend, parents, enseignants, professionnels de l’enfance : pour être capables de transmettre ces compétences de vivre et faire ensemble à nos enfants, nous aurons à découvrir et à apprendre courageusement un mode d’emploi.
C’est notre responsabilité à tous.
C’est au 1er rang le devoir des parents qui sont aussi dirigeants politiques, économiques, journalistes, acteurs de la société civile : vous avez, nous avons, le pouvoir d’entraîner un mouvement au service de toute la société.
Pour beaucoup, nous avons appris à l’école à être de bons élèves, à réussir académiquement et individuellement. Nous devons maintenant éduquer nos enfants à réussir collectivement. Croire que son enfant pourra s’en sortir seul, avec des diplômes, pendant que d’autres dérivent à côté, est une illusion.
La paix est à construire sans relâche : à notre tour, nous parents, d’y contribuer
Les attentats de vendredi 13 novembre nous rappellent durement que la paix en France n’est pas un acquis. Elle n’est pas un souhait ou une formule.
Elle est le résultat de nos actions. Elle est à créer et à faire vivre à chaque génération.
Nos grands-parents l’ont fait courageusement après 1945. Quand une 3ème guerre mondiale paraissait inévitable, ils ont su l’éviter en passant au-delà de leur brûlant désir de revanche.
L’idée lumineuse de Jean Monnet de mettre en commun avec l’Allemagne les ressources convoitées de charbon et d’acier ; l’audace des politiques qui l’ont suivi dans ce projet fou ; la création des jumelages entre villes européennes ; l’enseignement de l’allemand à l’école… autant d’actions qui ont demandé à nos grands-parents le courage de changer leur façon de voir les choses pour que brille la paix.
Aujourd’hui, c’est notre génération de parents qui est en 1ère ligne. Les victimes des attentats de vendredi étaient pour la plupart de notre génération. C’est à nous que revient la responsabilité de construire la paix dans nos familles, dans nos écoles, dans la société.
En aurons-nous le courage comme nos grands-parents ?
En aurons-nous la patience, comme le renard du Petit Prince ?
Ou bien n’aurons-nous « pas beaucoup de temps » comme proteste le petit prince, accaparés par toutes les choses que nous avons à faire et à connaître ?
Aujourd’hui, maintenant que l’enjeu est clair, c’est à nous de choisir.
Pour tous ceux qui choisiront le courage et la patience, soyez assurés que Parents du 21ème siècle sera à vos côtés pour vous accompagner sur ce chemin non encore balisé.
Crédit photo : Les Cartons, Jean Jullien, le Petit Prince Officiel (page Facebook)