Hier et avant-hier soir, j’assistais aux deux premières conférences de Sir Ken Robinson en France, qui est en visite exceptionnelle à Paris pour une semaine à l’occasion de la sortie en français de son dernier livre Changez l’école ! La révolution qui va changer l’éducation.
En fait, je vais assister à (presque) toutes ses conférences, mais je n’ai pas prévu d’écrire un article pour chacune… sauf si vraiment vous insistez 😉
Pourquoi assister à TOUTES ses conférences ?
Parce qu’il est peu de personnes aujourd’hui sur cette planète capables d’expliquer comme le fait Ken Robinson de façon SIMPLE, forte et compétente un sujet très COMPLIQUÉ : ce qu’est l’école et ce qu’elle devrait être.
Mardi soir, au Liberté Living Lab dans le 2ème arrondissement de Paris, la salle était remplie bien avant 19h pour écouter celui qui est présenté comme la rock star de la créativité à l’école.
Et nombreux étaient ceux à suivre la conférence retransmise en direct sur la page Facebook d’OpenClassrooms. Dans les discussions entre participants, se partageait le sentiment de participer à un événement : la révolution de l’éducation est-elle bel et bien en marche ? C’est ce qu’affirmait fièrement l’affiche de l’événement en titrant Education Revolution soit La révolution de l’éducation… sans point d’interrogation !
Mercredi soir, j’ai fait partie des quelques privilégiés à assister dans les locaux de SynLab tout près de la place de la Bastille – quel symbole pour parler de révolution ! – à la deuxième conférence de Sir Ken Robinson. Une dizaine de chaises, un grand tableau noir, et une retransmission en direct sur la toute nouvelle plateforme Etre Prof.
Difficile de réduire à quelques lignes 2h30 de discussions, qui nous ont fait osciller entre prendre (beaucoup) de recul – mettant en perspective le rôle de l’école dans l’histoire de notre planète terre et l’avenir de l’humanité, rien que ça ! – et revenir au quotidien, en interrogeant les (mauvais) choix de nos gouvernants sur les 2 dernières décennies, en passant par les joies et peines du métier d’enseignant.
Plutôt qu’un difficile exercice de résumé donc, je vous propose mon best of totalement subjectif de ces deux soirées. Les moments, les questions, les phrases qui m’ont le plus marquée. Vous découvrirez entre guillemets les citations exactes de Ken Robinson, en commentaire dans les paragraphes une traduction libre de ses propos.
Les débats étaient en anglais, je vous propose ma traduction en français, exercice délicat et subjectif là-aussi… que ceux qui étaient présents hier soir et choisiraient un mot plutôt qu’un autre me laissent un petit mot dans les commentaires 😉
1. « La transformation de l’éducation est à la fois essentielle et urgente »
Pour citer H.G. Wells « La civilisation est une course entre l’éducation et le désastre »
2. « PISA ? Je ne suis pas contre les tests, j’ai passé mon bilan médical annuel la semaine dernière ! »
PISA est un bon outil d’évaluation et il est utile. Mais il y a deux bémols :
- les évaluations doivent être utilisées pour chercher à s’améliorer, pas pour organiser une compétition. Cela est vrai à l’échelle des élèves dans une classe, comme à l’échelle des systèmes éducatifs nationaux
- beaucoup de choses dans l’éducation ne peuvent pas être mesurées de façon quantitative, par exemple l’accès à et la transmission de la culture
3. « La créativité, c’est mettre votre imagination au travail »
La créativité et l’imagination sont les deux caractéristiques qui distinguent l’être humain des autres espèces sur terre. Dans ce sens, la créativité et l’imagination doivent avoir une part essentielle dans l’éducation.
4. « Se salir, c’est génial ! »
Sir Ken Robinson est membre d’une initiative internationale « Dirt is good« , traduisez « Se salir, c’est génial ». L’objectif : inciter les enfants à jouer en extérieur et à jouer librement. Pour eux, ce n’est pas seulement amusant, c’est vital !
5. « Nous n’avons pas besoin d’améliorer nos systèmes éducatifs, nous avons besoin de les réinventer »
Nos enfants grandissent dans un monde inédit auquel nos systèmes éducatifs actuels ne sont pas capables de répondre. Notre école publique traditionnelle a été conçue pour d’autres temps et d’autres enjeux. Elle est aujourd’hui débordée par les nouvelles attentes qui reposent sur elle.
6. « Les enfants adorent apprendre et ils sont doués pour ça ! »
Un exemple de l’époustouflante capacité d’apprentissage des enfants : ils apprennent à parler vers deux ans – une compétence extrêmement complexe – sans avoir besoin d’une instruction formelle.
Il faut distinguer 3 concepts :
- apprendre : c’est une compétence et une envie que possèdent TOUS les enfants
- l’éducation : c’est une approche structurée de l’apprentissage
- l’école : c’est un lieu créé pour faciliter l’apprentissage
Certains enfants ont un problème avec l’éducation. BEAUCOUP d’enfants ont un problème avec l’école. Ils n’ont pas de problème pour apprendre, ils ont un problème avec la façon dont nous faisons l’école. Les écoles traditionnelles bloquent l’apprentissage parce qu’elles en font une corvée. Nous devons créer des écoles dont l’objectif soit d’apprendre, soit d’être des communautés de personnes qui apprennent, et ne soit pas d’organiser une compétition entre élèves.
7. « Les enfants doivent apprendre sur deux mondes différents »
Les enfants doivent apprendre sur le monde qui les entoure, le monde qui existait avant eux et qui existera après eux. Mais ils doivent aussi apprendre sur LEUR monde intérieur et la façon dont ce monde intérieur interagit avec le monde extérieur. Un des problèmes de l’école traditionnelle c’est que les enfants n’apprennent pas sur leur monde intérieur.
8. « Vous n’apprenez pas ce qu’est la démocratie par un cours magistral sur la démocratie. Vous l’apprenez quand l’école fonctionne sur des principes démocratiques »
Ken Robinson regrette que les apprentissages soient trop souvent désincarnés à l’école : par exemple, la démocratie n’est pas un cours de plus à apprendre, c’est un mode d’organisation de la société qui se vit.
9. « Nous vivons à une époque de rupture technologique, qui transforme la façon dont nous vivons et dont nous pensons »
Une technologie nouvelle est un outil qui nous permet de FAIRE des choses que nous n’étions pas capables de faire avant. Elle étend les capacités physiques de l’être humain. Je vous donne un exemple : la cocotte-minute permet de cuire plus vite qu’à la casserole
Ce que nous vivons actuellement avec Internet et les prémisses de l’intelligence artificielle est différent. C’est une rupture technologique, c’est-à-dire une technologie qui étend non seulement les capacités physiques, mais aussi les capacités de l’esprit : nous pensons, nous vivons différemment après que cette technologie ait été inventée. Aujourd’hui, nous butons encore pour comprendre quel est le réel potentiel d’Internet et de l’intelligence artificielle. Ce sont nos enfants qui en vivront les pleins effets.
10. « Les hommes politiques semblent penser que l’éducation est un sujet trop sérieux pour être laissé aux enseignants. C’est une erreur »
Les hommes politiques se focalisent sur les programmes et les évaluations. Ce faisant, ils oublient un volet essentiel de l’éducation : la qualité de l’enseignement. Quand on a des enseignants exceptionnels, on peut se débrouiller sans programme et sans évaluation. L’inverse n’est pas vrai.
11. Que doit-on apprendre à l’école ?
Penser en termes de matières n’est pas très pertinent et amène vite à un débat sans fin « quels sont les matières les plus importantes ? »
Pour Ken Robinson, il est plus pertinent d’avoir une approche plus globale de l’éducation et penser en termes de compétences, par exemple mais bien sûr pas limité à : la créativité, la démocratie, les compétences cognitives (un terme englobant la mémoire, le langage, le raisonnement, la résolution de problèmes…)
12. Les universités sont le point de blocage de l’innovation à l’école
Beaucoup d’écoles de la maternelle au lycée s’interdisent d’innover dans leurs cursus, parce qu’elles sont prisonnières de l’idée qu’elles doivent préparer les enfants à entrer à l’université. Et que donc elles doivent préparer leurs élèves à exceller dans les matières académiques (maths, français) sans trop se préoccuper du reste. La bonne nouvelle selon Ken Robinson – qui nous livre ici son diagnostic de la situation aux Etats-Unis – c’est que l’université est à la veille d’un bouleversement majeur : trop chères, avec des cursus trop lourds et trop lents, des innovations majeures sont à prévoir dans les années à venir. Un exemple ? L’université de Minerva avec un cursus entièrement nomade et hors les murs.
13. « La technologie permet aujourd’hui d’individualiser facilement les parcours scolaires »
Ce qui aurait été un casse-tête il y a quelques années – comment permettre à chaque enfant d’apprendre à son rythme dans une classe de 30 élèves ? – est aujourd’hui possible. On peut réaliser facilement un agenda individuel, créer des groupes par niveau de compétence en cassant la barrière de l’âge…
14. « Beaucoup de ce qui se passe aujourd’hui dans les écoles est le résultat d’habitudes et de tradition. Cela n’a pas à être ainsi »
Sans perdre de vue les principes fondamentaux de l’éducation, Ken Robinson encourage les acteurs de l’école à passer tout ce qui est pris pour acquis à la lumière de cette question : est-ce réellement nécessaire ? et si on faisait autrement ?
15. « Moins d’élèves par classe n’est pas vraiment un enjeu »
Y a-t-il trop d’élèves par classe en France ? Peut-on innover et offrir un enseignement individualisé de qualité quand on a 30 élèves par classe ? Ken Robinson cite un programme financé par la fondation Bill Gates aux Etats-Unis qui a suivi l’hypothèse que moins d’élèves par classe favoriserait la réussite scolaire. Bilan : pas d’impact significatif.
Ce qui a réellement un impact sur la réussite scolaire, ce sont les méthodes d’enseignement : les méthodes d’apprentissage et d’enseignement innovantes font la différence.
Et 3 idées en bonus 🙂
16. « Bien sûr, nous devons revenir aux fondamentaux à l’école. La question c’est : qu’est-ce que les fondamentaux ? »
Pour les hommes politiques, les fondamentaux c’est lire, écrire, compter. Selon Sir Ken Robinson, les fondamentaux c’est que les enfants acquièrent à l’école une compréhension globale d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. C’est que l’école favorise leur développement cognitif, émotionnel, physique, social, spirituel.
17. « Vouloir changer l’école, est-ce de l’optimisme naïf ? »
C’est une critique qu’entend souvent Sir Ken Robinson en écho à ses propositions : il serait d’un optimisme naïf. Sa réponse « Les gens disent souvent Arrête de rêver, sois réaliste ! Mais si nous étions seulement réalistes, nous vivrions encore dans des grottes ! » Pour évoluer de la préhistoire à nos conditions de vie aujourd’hui, il a fallu que les êtres humains « aient l’énergie d’imaginer un avenir meilleur ». Alors oui, sa proposition de réinventer l’école est résolument optimiste, sans être naïve pour autant « si nous ne sommes pas optimistes, alors nous passons sur le revers de la médaille et nous tombons dans le pessimisme et le désespoir »
18. « Soyez une partie de la solution, pas une partie du problème »
Quel conseil donnerait Ken Robinson aux enseignants – et aux parents ! – qui veulent changer l’école ? « Vous n’êtes pas prisonniers d’un système éducatif qui ne change pas. Il change tout le temps, même si c’est bien souvent malgré lui. Prenez la responsabilité d’être u acteur de ce changement et ne pensez jamais que vous êtes seuls. Soyez une partie de la solution plutôt qu’une partie du problème »
A vous de jouer !
Après avoir lu ces 18 idées pour changer l’école, partagez votre ressenti dans les commentaires :
- quelle idée vous a le plus enthousiasmé ?
- laquelle rêvez-vous de voir débarquer dans l’école de votre enfant ?
- laquelle vous a appris quelque chose ?
- laquelle vous laisse sceptique ?
Pour aller plus loin, je vous conseille d’aller lire Changez l’école ! La révolution qui va changer l’éducation. Le livre contient une annexe qui recense des écoles innovantes en France, publiques et privées, allant du primaire au lycée… et s’il y en avait une près de chez vous ?
Recherches utilisées pour trouver cet article : https://parents-du-21-eme-siecle fr/best-of-creatif-15-idees-pour-changer-lecole/
Bonjour Magali
Quand j’ai vu le résumé de ton article : je me suis mince, je n’habite pas à Paris ! 🙂
J’aurais vraiment aimé être présent pour assister à cette conférence.
Un grand merci pour l’avoir (un peu) résumé. Comme tu dis, il est bien difficile, j’imagine, de résumer 2h30 en un seul article.
Quand est la prochaine conférence ?
Je reviens sur un des points qui m’a beaucoup parlé : la démocratie.
Comme tu le transcris : ce n’est pas en l’apprenant par coeur qu’on apprend une notion aussi forte, c’est en la vivant.
Et l’école est bien le pire endroit où la démocratie est présente.
Bien que cela commence (enfin) à changer, il reste encore beaucoup d’école, d’enfants qui vivent une monarchie, voir une dictature de l’enseignant.
Il a les plein-pouvoirs, et ne veut pas les perdre.
Je vais choquer des amis enseignants, mais je pense que les enseignants doivent changer, et hélas, les anciens vont avoir plus de mal .. normal, et je ne leur en veux pas : les habitudes ont la vie longue.
Un grand merci pour cet article.
Au plaisir d’échanger
Evan
Bonjour Evan,
Merci pour ton commentaire et tes propositions !
Je suis d’accord avec toi sur l’idée que l’apprentissage de la démocratie à l’école relève encore plus du cours théorique que du vécu quotidien 🙁 Maintenant, je pense que ce changement est à penser en termes de système éducatif et d’évolution de tous les acteurs… Par exemple, en tant que parents, nous avons un rôle pas simple à jouer dans cette évolution : sommes-nous prêts à ce que nos enfants n’aient plus des enseignants qui « tiennent leur classe » au besoin par l’autoritarisme ? Sommes-nous prêts à entendre qu’en classe les règles et leur respect sont partagées entre adultes et enfants ?
C’est une vraie révolution, et autant je la souhaite, autant je comprends aussi les résistances et inquiétudes que cela peut susciter 😉
A bientôt sur Parents du 21ème siècle !
Magali
Bonjour et merci pour ce résumé qui me fait juste dire : oh zut j’ai raté ça !!!!!!
En premier lieu je me suis aperçue en lisant que j’appliquais à moitié le « Dirt is good » : à l’extérieur pas de soucis, flaque d’eau, terre, sable il fait ce qu’il veut sans se soucier des vêtements, pourtant à la maison, feutres et peintures sont conditionnés à ma présence ultra méga vigilante… bon il va falloir remédier à ça rapidement. Je respire et relativise : ma meilleure amie s’appelle machine-à-laver !
Il est effectivement temps de transformer notre système éducatif et non pas de le réformer partiellement de ci delà. Bientôt, le gouvernement n’aura plus vraiment le choix car parents, enfants et enseignants sont chaque jour plus nombreux à le souhaiter, à le revendiquer…
Bravo pour ce gros travail de synthèse
Bien à vous
Caroline
Merci pour cet article. Quelle chance d’avoir pu voir Ken Robinson !! J’imagine comme ça a dû être passionnant…
Je suis bien d’accord avec l’ensemble, et en particulier : faire partie de la solution, pas du problème ! Le seul fait que ces conférences soient de plus en plus nombreuses et populaires prouve que c’est heureusement de plus en plus le cas.
Dans le même genre, j’ai assisté cet été au festival « les rendez vous de juillet », dont l’un des thèmes était justement « Revolutions dans l’éducation », et je me suis sentie portée par l’enthousiasme de Celine Alvarez…
https://les6doigtsdelamain.com/magique-celine-alvarez/
J’ai déjà eu plein de discussions avec d’autres parents sur la question de savoir que doit-on apprendre à l’école. Je confirme que penser en termes de matières n’est pas pertinent. C’est pourquoi nous prenons en considération un lycée privé pour notre fils qui offre une approche plus globale de l’éducation comme c’est aussi conseillé par Ken Robinson.